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Cassidain solitaire, Djamal Boukhenifra est pêcheur depuis 35 ans. Il nous partage son quotidien dans cette profession difficile mais qui lui offre la liberté dont il a tant besoin.

Portrait par Éric Lenglemetz, recueil du témoignage par Noëlie Pansiot.

Libre sur l’eau

Je m'appelle Djamal. Je suis littéralement né aux Calanques. À l'époque, on n’avait pas de voiture, ni de transport pour se rendre dans une clinique à Aubagne ou Marseille. Nous, on est né là, ma mère a accouché ici, à Cassis.  Je suis patron pêcheur depuis 89, ça fait une trotte ! La pêche, c’était une passion au départ. Puis un jour, j’ai acheté un bateau avec mon frère, on s’est installé à la mer, et on est devenus pêcheurs professionnels.

Être pêcheur, c’est avant tout être libre, être un baroudeur, un solitaire. C’est un métier difficile, c’est sûr, t’es creusé par la mer ! La nouvelle génération est un peu plus souriante, mais si tu avais connu les vieux de l’époque, ils étaient durs et peu sociables. C’était difficile de s’installer en tant que nouveau pêcheur, mais ils ont appris à nous connaître puis ils nous ont plus lâchés.

En fait, ce métier, quand tu ne le connais pas, tu ne sais pas qu'il est prenant. Quand tu le fréquentes, que tu bosses au quotidien, c'est vraiment une piqûre. Comme disaient les vieux « c'est où tu as été piqué où tu n'as pas été piqué », tu vois.

À 57 ans, au réveil, tu as un peu mal là, tu as un peu mal aux genoux. Mais une demi-heure après, quand t’es sur l’eau, tu as tout oublié. Puis quand tu vois monter le poisson à la roue, c'est un vrai plaisir. Alors oui, j'ai des propositions pour faire autre chose, mais pour l'instant, je n'ai pas envie, je suis bien là, mon bureau me convient.

Laisse dire

Mon bateau s'appelle le Laisse dire. C'est un bateau que j'ai équipé pour finir ma retraite tranquille. Donc j'ai fait construire cette cabine pour être bien à l'abri du soleil. Et tout équipé pour travailler tranquillement : tu as la manette ici, tu as le gouvernail, tu as le treuil de la roue à côté. Voilà, le petit cabanon du pêcheur, libre sur l’eau…

Je pratique la pêche « aux petits métiers » comme tous les petits bateaux que tu as ici à Cassis. On est polyvalent dans nos techniques de pêche et sélectif, moi j’essaye de faire du beau poisson : saint-pierre, chapon, rouget, merlan, quelques langoustes. Ici, par exemple c'est un petit filet à rouget que tu poses le soir et que tu tires le matin, il reste la nuit. Ça, c'est de la petite maille, pour faire la soupe, un peu de bouillabaisse. Et après on pose des filets au large, à grosses mailles pour faire du saint-pierre ou du chapon, puis des plus petites mailles pour faire du merlan, baudroie, lotte.

On vend directement notre poisson sur le quai devant notre bateau, « sur la pierre froide » comme on dit ici. C’est essentiellement des locaux qui viennent acheter nos poissons.

Un métier en mutation

C’est un métier qui a complétement muté en termes de réglementations. Si tu avais dit en 89 à un pêcheur de déclarer des carnets de capture tous les mois, voire tous les jours selon le bateau, il t’aurait jeté à la mer ! D’ailleurs, ils n’auraient jamais pu mettre en place tout ça avec la génération de l’époque.

La ressource a un peu évolué, on trouve moins de Langoustes, moins d’espèces comme le pageot ou la galinette qui a été énormément chalutée. Mais globalement, je trouve qu’il y encore un bon équilibre de la ressource, on trouve pas mal de rougets, de merlans, de saupes. Puis on est mieux équipé aujourd’hui, le matériel est plus performant.

J’ai de bonnes relations avec le Parc national des Calanques. Ça n'a pas été facile de mettre tout le monde autour d'une table lors de la création du Parc. Surtout avec les pêcheurs Marseillais car ils ont été plus impactés que nous au niveau des réserves et ils sont plus nombreux.

Après, c’est toujours pareil, il ne faut pas qu'il y ait trop d'obligations non plus, que tous les acteurs puissent continuer de travailler décemment et perpétuer cette pêche traditionnelle. Mais quand tu vois la fréquentation et le tourisme, c’est une très bonne chose que le Parc vienne faire le gendarme pour gérer tout ça.

Certains pêcheurs râlent sur les zones d’interdiction de pêche, mais on peut vivre avec sans problème. C’est aussi une question d’état d’esprit, soit on avance ensemble pour faire des choses, soit on refuse et on s’autodétruit. Le changement est difficile pour certains, surtout dans le Midi ! Le gars ici, il a ses habitudes, son grand-père faisait ça, son père faisait ça et dès qu’on bouleverse ses habitudes, ça ne lui convient plus. Mais c’est vital de travailler ensemble intelligemment, pour éviter les mauvais comportements et maintenir la ressource.


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