Découverte en miniature
L’histoire de cette découverte commence le 1er avril 2018 quand une coquille originale retient l’œil de Jean-Louis Dommergues, de sortie dans le vallon de la Gineste. Cet ancien directeur de recherches au CNRS partage l’information à quelques collègues toujours en activité et aiguise la curiosité d'Olivier Gargominy, spécialiste en malacologie.
Parce qu'il peine à convaincre son ami de publier sa découverte, et peut-être parce qu’il s’agit de mettre la main sur un escargot, Olivier Gargominy ne se rend sur place que 5 ans plus tard. La station que lui avait décrit son confrère a changé. Le milieu ouvert, qui portait les traces du grand incendie de 2016, s’est refermé.
En ce mois de novembre 2023, chêne kermès, romarin, salsepareille et autres asperges sauvages forment une broussaille quasi-impénétrable… ici et là quelques affleurements calcaires rythment le paysage. L’expérience aidant, il n’en faut pas plus à Olivier Gargominy pour identifier ses premières Truncatellina à l’œil nu. Les suivantes sont collectées grâce à une technique de tamisage, tant les coquilles sont petites et se confondent facilement avec les plus infimes éléments de ce sol karstique thermo-xérique.
Retour au labo et fin d’un débat scientifique
Après les récoltes vient le temps de l’analyse. L’observation distingue très bien deux espèces de Truncatellina observées en syntopie. D’un côté Truncatellina callicratis et de l’autre Truncatellina beckmanni.
Cette dernière se distingue de la première par sa hauteur réduite aux deux tiers pour un diamètre plus grand, une dent pariétale beaucoup plus développée, véritable crête parcourant un demi-tour de spire, une dent palatale plus allongée et moins dentiforme et une suture plus prononcée. Les spécimens s’accordent parfaitement avec la description originale et les illustrations faites par Quintana Cardona en 2010.
La fraicheur des coquilles laisse penser que l’espèce est vivante sur le site, bien qu’il n’ait pas été possible de la contacter comme telle. Les coquilles de T. beckmanni sont largement plus nombreuses que celle de T. callicratis, de l’ordre de cinq fois.
Jusqu’ici, des débats avaient entourés la viabilité de T. beckmanni en tant qu’espèce. Certains y voyaient une simple variation de T. callicratis. Le fait de récolter les deux espèces sur un même site argumente fortement pour la validité de T. beckmanni.
L’impossible inventaire ?
Avec cette découverte, cette espèce présente à Minorque et recensée au sud de la Péninsule ibérique étend donc significativement son aire de répartition vers le nord et l’est. Pour Olivier Gargominy « une introduction anthropique semble peu probable, cette occurrence isolée dans les Calanques résulte plus probablement d’une distribution relictuelle et souligne l’intérêt d’une révision du genre dans la zone méditerranéenne. Avec leur dimension n’excédant pas deux millimètres, les espèces du genre Truncatellina font partie des plus petites espèces d’escargots terrestres de l’Hexagone. Malgré - ou peut-être à cause de - cette particularité, elles ne bénéficient pas d’une attention particulière ».
Il est emblématique que les deux dernières mentions de nouvelles Truncatellina en France aient été faites au sein de Parcs nationaux. En 2011, Truncatellina monodon était découverte dans le Parc national de la Vanoise. Pour Olivier Ferreira, référent écologie terrestre au Parc national des Calanques « Ces observations illustrent l’enjeu de connaissance sur les territoires des parcs nationaux, à la fois réservoirs de biodiversité et lieux privilégiés pour l’observation naturaliste. Concernant les invertébrés, notre manque de données est certainement abyssal, tant il reste à découvrir... » et de rajouter « Cette découverte remet en perspective la question de dresser des inventaires complets de la biodiversité. Cet enjeu soulève des débats au sein de la communauté scientifique : jusqu’où porter l’effort ? et dans quel but ? L’écologie moderne met l’accent aujourd’hui sur l’étude du fonctionnement des écosystèmes et des interactions entre les espèces. Il n’empêche que ces approches seront d’autant plus riches et pertinentes que les espèces seront précisément recensées et décrites. C’est d’ailleurs dans ce sens que le Parc national des Calanques a commandé en 2023 un inventaire malacologique de son territoire au CEN PACA. Ironie du sort, Truncatellina beckmanni n’y avait pas été identifié.»
Lire l’article : Truncatellina beckmanni, nouvelle espèce pour la France observée dans les Calanques